KikouBlog de Mustang - Décembre 2014
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MARATHON

Par Mustang - 07-12-2014 11:06:28 - 21 commentaires

Pas de récit épique,  juste  un  long cheminement commencé  il y a si  longtemps.

photos: Lutin d'Ecouves 

MARATHON

L’automne 2013 n’avait été que déconvenue après  ma chute de vélo qui m’avait conduit  à ne  pas  prendre  le départ du Paris-Versailles et de l’Ultra Tour de Liège. Puis, une reprise d’entraînement trop intense avait  provoqué  une blessure au tendon d’Achille me  privant de  Saintélyon.  L’année 2014 s’annonçait bien morose avec  mon tendon en délicatesse et une activité plutôt  envahissante  du crabe. Le corps est  une chose, l’esprit est autre. J’aime bien rêver. Depuis quelques  mois, je  portais en  moi  un rêve. Voilà, à l’automne  2014 je rentrerai dans  la catégorie V3M et  pour fêter cela, quoique de  plus  beau et de  plus symbolique que de courir  un marathon ! Cela  me  parut comme  une évidence. Sans trop  réfléchir  plus, dès  l’ouverture des  inscriptions au marathon de La Rochelle, je  m’inscrivais. Comme  un défi avec  moi-même. J’en parlai à Thierry qui, aussitôt, se  proposa comme coach et  me  prépara  un  plan d’entrainement sur  les  bases de  4 h, oui, 4 h,  il fallait bien  être réaliste !


Un marathon,  la belle affaire,  le dernier couru était celui de Paris  en  2006 et c’était  mon quatrième. Très tôt, dans  ma « carrière » de coureur, j’avais vite fait de quitter  le  goudron pour fouler les chemins et sentiers que proposaient  à l’envie  les trails, ceux-ci se  prêtant  mieux  à mon esprit vagabond. La rigueur des  marathons m’apparaissait trop comme  une contrainte. Paradoxalement,  pour les  premiers courus au Mont-Saint-Michel et  à la Rochelle en  2000 et 2001, la  préparation n’avait  pas été vraiment spécifique, loin de  là, et, avec  mon compère Thierry, les temps réalisés avaient été  plus qu’honorables, nous surprenant  même. J’en garde  un souvenir radieux. Si bien que,  pour  mon  quatrième,  le parisien en 2006,  je soignais  particulièrement mon entraînement  pour  un  objectif  affiché de 3 h 15. Macache,  un  mollet récalcitrant durant  la course  m’obligea  à revoir  à la baisse  mes ambitions. J’en gardai  inconsciemment comme une rancune.


Mon activité sportive  au printemps fut réduite : du vélo et  une  préparation marche athlétique en vue des  interclubs de mai. Tout cela  pour  préserver  mon talon. En définitive,  je  m’aperçus que courir  ne  lui portait  pas  plus  à conséquence. Aussi,  je reprenais un entrainement course que  je concrétisais  laborieusement  par  un trail  à Bédarieux fin  mai. Cependant, le traitement  médical entrepris en début d’année même s’il produisait les effets attendus  me  pesait sur  mes capacités  physiques pour  la course  à pied. Je vécus  très  mal  l’abandon sur  les  pentes du Ventoux. Si  bien que  l’été  me vit  préférer  le vélo, mais  moins  on court,  moins  on a envie de courir. Il  y avait  mieux comme  préparation  physique  pour  un marathon. J’en vins  à douter et  laissai entendre que  je  renonçais  à mon  projet. J’étais  parti dans  une spirale dépressive.


Septembre arrivait et je n’avais pas encore  commencé  un entrainement sérieux, seulement  deux footings dans  le  mois ! L’affaire était  particulièrement  mal engagée. Il fallut une sortie en rando-course avec  les  kikous  à Sallanches et  les résultats d’une analyse sanguine  à mi- octobre pour me faire remonter  la  pente. Les  bons résultats annoncés  me ragaillardirent et je me  lançai enfin dans  le  plan d’entrainement ! Il était temps ! Thierry après avoir accompli son défi sur  les  100 km de Millau  fut disponible  pour  les sorties longues du dimanche. La  première fut bien  laborieuse. Mais  les séances de qualité dans  la semaine portèrent  leurs fruits et le premier cross de  la saison  à Rânes me redonna confiance. Cependant,  je ne me faisais  pas trop d’illusion avec seulement six semaines de  vrai entraînement.


Je voyais arriver  l’échéance avec  un sentiment trouble,  à la fois exaltation et fatalisme, ce  dernier terme dans  le sens  inéluctable ! Je  m’étais  imposé ce  « passage », l’échéance arrivait. Le cross de Gesnes-le-Gandelain  couru  le samedi plomba ma dernière  sortie  longue du dimanche avec Thierry. Aussi, la dernière semaine fut  très  légère, juste  une sortie de 55 min  le  mardi et  un peu de  vélo d’appartement. Mais  un événement annexe  me troubla  profondément. En effet,  le copain  journaliste, informé bien sûr de  mon  projet, et sachant que  j’étais « bon client » pour  les  interviews, m’interrogea.  Je pensais que, comme pour  les copains  ou pour  moi-même dans d’autres  occasions sportives, ce  petit  interview serait en  pages sport de  l’hebdo  local. Cependant,  il se retrouva en  page deux avec une accroche mettant en exergue  ma « situation » de santé. Certes, dans  ma démarche,  il  y avait de  ça bien sûr mais  le voir écrit en gros caractères mettait en évidence aux  yeux de  tous ce que  je voulais me  prouver  à moi-même secrètement.  Voilà  plus de six ans, que  je traîne ce crabe et, que ce soit à l’Ecotrail, en Drôme, à Liège   ou  à la Saintélyon, j’ai toujours voulu remonter  la  pente après chaque traitement entrepris. Mais  là, les choses  ont changé par rapport  à l’ennemi qui se fait  plus envahissant, le dernier protocole  médical  impacte durablement  ma condition  physique. Mon  médecin de famille  me déconseille fortement  toute activité  physique intense. Le spécialiste du Mans,  lui, voit  ça  plutôt d’un  bon œil et  me dit, même si le traitement  influe sur ma forme, j’en fait certainement beaucoup plus que certains  bien portants aux  mêmes  âges ! Certes !


Voilà, ce samedi, je roule en compagnie de Josette et de Thierry vers La Rochelle.  Les doutes se sont effacés. Je  me suis  mis dans  un étrange  processus mental qui consiste  à  vivre  pleinement l’instant  présent sans  penser à l’avenir. C’en est  même euphorique ! Quatorze après,  je retrouve  notre  hôtesse de la Rochelle, elle  n’a pas changé, elle  me retourne  le  même compliment ! Puis  nous  partons  à pied, direction l’Espace Encan. En chemin,  sur  l’estrade  installée en bord de quai,  l’intarissable Gérard, micro en  main,  est  à l’œuvre. Il  prend cependant  le temps de  nous saluer. Puis c’est  la foule de l’Encan. Dense. La  progression  dans cette foule vers  la salle de remise des dossards est étonnante, voire symbolique : une allée bordée  par  les stands des  organisateurs de  marathon et par quelques équipementiers sportifs. « Qui veut  un  marathon ! Il est beau,  il est frais  mon marathon ! ». Voilà,  je suis en  possession de  mon dossard. Zen,  pas de  pensées. Je suis  juste dans  l’instant. Je suis  bien. Retour  pas  l’autre allée tout aussi encombrée. Nous arrêtons au stand de la course Alençon-Médavy  pour saluer  les  organisateurs. Nous ressortons  pour respirer de  l’air frais et attendre Katia, la féminime du club dans cette aventure et Stéphane  mais celui-ci  ne  prendra  pas  le départ, un souci de santé de dernière  minute  le  prive de  course  mais  il a tenu  à venir quand  même !


La soirée  va se  poursuivre  par  la traditionnelle  pasta-partie dans  un restaurant  le  long du Mail. Mon coach  m’autorise  une  bière ! Et des profiteroles au chocolat, sans Chantilly ! Retour chez  notre hôtesse,  un  peu de  papote et c’est  le coucher. Surprenant,  je vais presque  bien dormir ! Quand  je vous dis que  j’avais –presque- déconnecté  mon cerveau ! Lever vers  6 h pour  le  petit déjeuner. Depuis  une semaine, je  me suis entrainé  à manger ! Mon régime  habituel est  plutôt frugal. Pour cette  occasion,  je fais faire  un effort. J’engloutis quatre  tartines mais  pas  une de  plus, suis couflé ! Et ces quatre  tartines,  je vais  les trainer  tout  le  long du  marathon ! L’équipement sera simple. Il va faire beau, ce sera  un  cuissard et le débardeur du club, des  runnings  usagées. Je  ne  prendrai  pas de ravitaillement. Je complète mon équipement avec  la casquette et  les buffs kikouroù et UFO  qui vont bien.  Photo traditionnelle d’avant départ.


Thierry et  moi  partons tranquillement en  petites foulées, justes  protégés par  un sac  poubelle. Le vent s’est élevé et suscite  un  peu d’inquiétude de  la  part de  mon coach. Je suis bien, aucune appréhension, même de  l’exaltation Les sensations sont excellentes. Nous traversons  le  parc animalier, rejoignons  le  mail puis  le  port. C’est  l’ambiance d’avant course, des coureurs aux tenues si diverses ont envahi  les  lieux. Du côté de  l’aquarium, nous retrouvons François. Lui,  prendra  le départ avec  les  jeunes,  sur le  quai Maubec.  L’heure approche,  la foule bariolée se densifie. Nous abandonnons Katia dans  le sas  1 ; à notre tour,  nous rentrons dans  le sas  jaune. Je suis étonné de  mon état d’esprit. Tout  le  long de  la semaine  jusqu’à ce  matin, des  messages de soutien  me sont  parvenus de  la  part de  mes amis. Cela  me fait chaud au cœur de  les savoir à mes côtés  par  la  pensée. Certains vont suivre  notre  progression en direct sur le site de  la course.


Quelques  minutes avant  9 h, dans  la foule du sas jaune,  pas d’excitation  particulière  malgré  les  incitations du speaker. Les  gens sont en définitive tendus par  l’épreuve qui  les attend. A chacun sa course,  à chacun son défi,  à chacun son aventure  personnelle. Je suis avec  la foule dans sa course  insensée,  je suis dans ses remous, ses drapeaux, ses chimères, ses cris, ses crachats, je suis avec  la foule, les  poings serrés,  le souffle court, je suis avec  la foule qui ébranle  la terre, la foule au cœur  battant, je suis dans son souffle, je suis dans son rythme, je suis dans son rêve,  je suis avec  la foule à courir dans  la ville.

9 h. La foule s’ébranle. Ce  n’est  pas du silence, il n’y en a pas. Les clameurs  des spectateurs, la musique wagnérienne, le speaker,  la ville  même, créent un brouet sonore particulièrement exaltant mais  le silence est en  nous. C’est ce qui fait  la  magie de ces départs de  masse. Moi qui redoutais autrefois cette foule mouvante, je  m’y trouve bien. Je  l’aime bien cette foule en  mouvement. Voilà déjà le  port,  puis  la rue qui conduit au Mail. Le ciel bleu,  les voiles  blanches sur  la  gauche, je me sens vraiment bien. Je veux  mettre  au diapason   ma foulée et  mon exaltation  mais Thierry est  là,  juste derrière  moi. Durant ces  42,195 km,  il  ne quittera quasiment  pas cette  position sauf  pour aller  me tirer le  protrait. Pas d’emballement,  je dois respecter  le  plan. Il est  là pour  me  le  rappeler. Et il  le fera tout au  long du  périple avec discrétion mais fermeté. J’ai  pourtant  pris  un  lecteur mp3 au cas  où, craignant sa volubilité des entrainements, mais  là,  non,  juste  les directives qui conviennent au  moment qu’il faut. Je  ne brancherai  pas ce  mp3 ! Certes,  nous échangeons  un  peu  mais  il sait que  je suis  un taiseux.


Ces  premiers  kilomètres vont se dérouler sans effort. Vraiment. Au km 3,5, voilà  le flot des  jeunes qui vont se mélanger au  notre. Les spectateurs ne cachent  pas leur enthousiasme sur  le trottoir. Des  orchestres plus  ou  moins exotiques vont faire  le bœuf. Les  kilomètres avancent. Me voilà donc  de nouveau  à suivre  la  ligne  bleue. J’ai tout de  même  un  petit  pincement. Cela  faisait si  longtemps.  Aux ravitaillements,  je respecte  bien les consignes : un verre de coca, deux verres d’eau  à consommer en marchant environ 30-40s. Sur ce  premier semi,  je suis encore dans  le  bonheur. Thierry est toujours  obligé de réfréner  mes ardeurs. Le bougre,  il connait son  métier.  Nous voilà  sur le quai Maubec, celui que  j’ai connu en  2000. Le  parcours  à venir dans  le quartier  neuf est  moins chaleureux. Mais  le retour sur le quai est  inouï. Comment ne  pas se sentir  héros pour cette foule  qui  vous  porte ?  Je retrouve  le  Mail. Thierry me rassure sur  notre allure,  nous sommes toujours dans  le tempo défini. Cependant, je sens que  mon corps commence  à manifester des signes de faiblesse. Mon tendon,  jusque-là silencieux, se rappelle à moi. J’en viens  à lui « parler » pour qu’il se calme. Troublante schizophrénie. J’en étais encore  à tabler sur des  horaires d’arrivée. Les estimations  horaires mises en  place confortaient cette ambition.  Mais  je faisais  là péché d’orgueil.


Passé  le cimetière, peu avant  le trentième, je sens  mes cuisses se durcir. J’ai  hâte d’atteindre  le ravitaillement du  30 pour  me  reposer  un  peu. Thierry a  bien vu que  la machine s’est grippée ! En vérité, pas de  problème de souffle,  pas de sensation de fatigue  mais ces foutues cuisses qui se  bétonnisent. Puis c’est  mon dos crabeux qui entre dans  la danse. Etant toujours dans  l’instant,  l’essentiel est d’avancer. Thierry est  là pour  me  le  rappeler. Cependant,  étant dans  le  deuxième tour,  je connais  le  parcours  à venir. Par bribes,  il m’apparait,  je  m’y  projette avec un  peu de désespoir. Ou de résignation. Thierry  a  laissé tomber le tempo,  reste  le  décompte  kilométrique. J’ai senti en  lui comme  une déception. « Tu  ne  marcheras  pas ! Regarde,  ils sont  plus  jeunes que toi et  ils  marchent ! Pas toi ! » . Non,  je  ne vais pas  marcher. Sa  hargne  me  porte. Non,  je ne vais  pas  marcher. Je suis dans  la souffrance.  Il interpelle  les spectateurs afin qu’ils  m’encouragent. Ces inconnus radieux  scandant  mon  prénom me  portent  également. Je sais désormais que je vais aller  au bout. C’est  une certitude et cette certitude gomme  mes souffrances. Peu  importe l’allure,  l’essentiel est de franchir  l’arrivée. Va  pour ce dernier  kilomètre, si sublime autrefois ! La boucle est  bouclée. Tout  ça  pour  ça. J’ai le cœur gros. Je longe la tour. Thierry et  moi foulons  le  tapis  bleu du  même  pas. Je  ne tombe  pas. Je  ne  pleure  pas. L’esprit  un  peu sonné. Même si  je  peine  à marcher  maintenant  les tensions se sont dissipées. Un soleil radieux fait  la fête dans  le ciel immaculément bleu de La Rochelle.


Avec toute  ma gratitude  pour Thierry  et  tous  les amis qui  m'ont soutenu dans cette aventure. Et toute  ma tendresse pour  mon épouse qui m' a accompagné avec tout son amour.

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