Par Mustang - 08-12-2015 22:50:17 - 16 commentaires
Courir en prison
Ce matin de décembre, froid et humide, nous nous garons sur le parking de la centrale pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Nous sommes une douzaine, en tenue de sport. Nous allons courir avec des détenus dans la prison la plus sécurisée de France !
A la grille d’entrée, nous sommes accueillis par X…, délégué par l’UFOLEP pour l’animation sportive au sein de l’établissement. Premier contrôle d’identité, première grille franchie, premiers hauts grillages de l’allée qui conduit aux bâtiments pénitentiaires. Sur ma gauche, vision étonnante de jeux d’enfant dans une petite cour clôturée. Elle est attenante aux Unités de Vie Familiale.
Nous pénétrons dans un hall d’accueil. Nous échangeons nos cartes d’identité contre un badge magnétique. Nous nous délestons de tout ce qui est inutile dans un casier avant de traverser un portique de détection. Le passe nous permet de franchir un tourniquet. Nous quittons cette pièce pour une autre puis une suivante qui débouche à l’air libre (!). C’est là que la prison commence. Grillage, barbelés, clôture électrique, les murs impressionnants par leur hauteur. Une longue allée joliment paysagée nous conduit aux bâtiments pénitentiaires. Aux fenêtres, des barreaux bien sûr mais ceux-ci sont disposés de manière particulière, pas tous parallèles comme il se doit mais certains de guingois. Nous voilà dans un grand hall. Nous prenons un couloir à droite qui distribue différentes pièces aux fonctions administratives. Dans une petite salle, atour d’une table nous avons droit à un café d’accueil avant le briefing avec les deux animateurs sportifs et une surveillante. Les questions fusent. Il faut dire qu’il n’y a pas une semaine où les journaux rapportent des incidents plus ou moins graves entre détenus et surveillants ici ! Cet établissement abrite les longues peines et des individus à la renommée tristement célèbre en France voire dans le monde entier !
Voilà, c’est le moment. Nous nous trouvons maintenant dans un immense hall. A gauche, un portique de détection dernier cris pour les visites au parloir. A droite, trois grandes grilles qui donnent accès aux trois unités où résident les détenus. Pour moi, c’est la 3 avec quatre de mon groupe. Là, il ne s’agit plus de franchir des portes blindées, mais de lourdes grilles commandées depuis une pièce sécurisée. Première grille, puis une deuxième, enfin une troisième qui débouche sur la « cour ». Elle est en forme de losange dont deux côtés sont les ailes des bâtiments abritant les cellules, les deux autres sont fermées par une haute enceinte de béton. Une allée conduit au terrain de foot. L’allée comme le terrain sont clôturés par un haut grillage couronné de rouleaux de barbelés. Le terrain a un revêtement herbu synthétique où pourtant de la vraie herbe pousse par touffes ! Ce sont plus les dimensions d’un terrain de hand que celles d’un terrain de foot. Des ballons sont coincés dans les barbelés. Trois urinoirs sont disposés sur le petit côté près de l’entrée. De nombreux détritus tombés des fenêtres des cellules jonchent le no man’s land herbeux entre les murs et le grillage délimitant le terrain de jeu. Beaucoup de celles-ci sont occultées par des serviettes ou des tissus quelconques. Le terrain est dominé par un haut mirador. Un réseau de filins soutenus par des pylônes est tendu au-dessus de la prison afin d’empêcher toute évasion par la voie des airs !
Cinq détenus nous attendent. Nous échangeons une poignée de main. Je n’ai pas d’état d’âme particulier en les saluant. Je ne suis pas là pour ça ! Je ne saurai rien d’eux. La surveillante nous rappelle les règles : 10 tours de terrain rapportent un euro financé par un prestataire de la prison et par les détenus eux-mêmes. Je me défais rapidement de mon pantalon de survêtement et de mon sweat. Nous nous regroupons et c’est parti. Auparavant, nous avions demandé aux détenus dans quel sens ils « tournaient » ; nous tournerons donc dans le sens sénestrogyre. De suite, c’est une bonne allure de footing. J’ai de bonnes sensations et le terrain est agréable à parcourir par sa souplesse. La configuration des lieux rend particulièrement étrange ce footing avec bien sûr le haut grillage couronné de barbelés, mais c’est surtout ce rythme syncopé qu’impose la brièveté des lignes droites à parcourir. Peu à peu, le groupe se disloque. Yannick, une autre jeune et un détenu commencent à prendre le large… euh, façon de parler ! Je reste au contact d’un prisonnier. Nous échangeons quelques mots. J’évoque mon passé d’ultra-marathonien, de ce plaisir à courir dans la nature ; lui, de la course comme un moyen de se défouler, de s’évader bien sûr ! Là, dans l’instant, nous sommes dans la même foulée, côte à côte, chacun avec son histoire, à apprécier le plaisir de courir, de ressentir cette impression trouble d’apesanteur entre deux appuis au sol, d’apprécier cette translation rapide et légère dans un espace contraint. Peu à peu, son allure baisse alors que la mienne s’élève. Le groupe de coureurs est maintenant réparti sur tout le circuit ; seul, Yannick et le jeune restent avec un barbu. Ils vont faire dix tours à fond !
Dans l’allée, d’autres détenus sont venus voir ou prendre l’air, un va se renfrogner dans un coin. Il a le visage dur et fermé, pas la peine d’essayer de communiquer avec lui, même du regard. Un détenu est parti en marche arrière pour soulager un mollet douloureux, la capuche sur la tête, de gros écouteurs sur les oreilles. Plus 50 min sont passées, les copains se sont arrêtés. Je continue encore pour une dizaine de tours. Voilà, le contrat est rempli. Pendant que la responsable comptabilise le nombre de tours parcourus par chacun, un détenu, le cheveu ras, des bras gros comme des cuisses, entreprend de faire des pompes par séries de 25. Il en fera 500 ! Pour mon compte, j’ai accompli 82 tours, soir, à peu plus de 9 km ! Poignées de main, tapes dans le dos et on se dit au revoir. Ce fut un bon moment où le sport a servi de valeur partagée.
A nouveau, nous, enfin les coureurs de l’extérieur, franchissons les grilles et les portes pour rejoindre la petite salle pour un petit débriefing avec les moniteurs. Les visages n’affichent plus l’appréhension de tout à l’heure. Tout le monde est détendu. Puis ce sera une photo devant la centrale pour la presse. L’après-midi, les détenus continueront à faire des pompes et à « pousser » de la fonte. un total de 430 euros sera récolté au profit du Téléthon.