Par Mustang - 04-04-2009 12:39:42 - 8 commentaires
« …. Non, ne pense pas à de la bière. Et ne pense pas non plus au soleil. Oublie le vent. Oublie l’article à rédiger. Concentre-toi simplement sur tes pieds. Fais-les avancer, l’un après l’autre. Là, maintenant, rien d’autre n’a d’importance.
J’ai dépassé les trente-cinq kilomètres. A partir de là, c’est pour moi la terra incognita. Jusqu’à présent, jamais encore je n’ai couru au-delà des trente-cinq kilomètres. A ma gauche, une ligne de montagnes dénudées, pierreuses. Elles semblent tout à fait stériles, dépourvues du moindre chemin. Qui donc, quelle sorte de dieu a bien pu créer ce genre de chose ? A ma droite, des champs d’oliviers à perte de vue. Tout semble recouvert d’une fine poussière blanche. Et ce vent âpre venant de la mer qui m’attaque la peau sans cesse. Mais c’est quoi, à la fin, un vent pareil ? Pourquoi faut-il qu’il soit si violent ?
Aux environs des trente-sept kilomètres, je me mets à tout haïr. Ça suffit, j’en ai assez. Je ne veux plus courir davantage. Mon énergie est au plus bas. C’est comme si je conduisais une voiture à sec. J’ai envie de boire, mais si je m’arrête maintenant, je crois que je ne pourrai plus repartir. J’ai soif. Soif….
… J’ai dépassé les quarante kilomètres.
« Plus que deux kilomètres ! Allez, tenez bon ! » me crie le rédacteur, d’une voix encourageante, de la voiture.
« Facile à dire ! » ai-je envie de lui retourner. Mais je ne le fais pas, je me contente de le penser. Ce soleil dénudé est atrocement chaud. Il n’est que neuf heures du matin, et la chaleur est abominable. La sueur me coule dans les yeux. Le sel me brûle les yeux, et durant quelques instants, je ne vois plus rien….
… Au-delà des hautes herbes d’été, j’aperçois l’arrivée, le monument dédié au marathon historique, à l’entrée de la petite ville de Marathon….
… Ce sont maintenant les derniers mètres de la course et je veux absolument courir le plus vite possible, en donnant mes dernières forces. Hélas ! Mes jambes sont autonomes et ne m’obéissent pas. J’ai complètement oublié comment mettre mon corps en mouvement. Tous mes muscles me font l’impression d’avoir été rasés par un rabot rouillé.
Ça y est.
Ça y est, j’ai atteint le but. Je n’ai curieusement pas le sentiment d’avoir accompli ce que je voulais. La seule chose que je ressens est le soulagement intense de ne plus avoir à courir»
dont sont extraites les lignes ci-dessus.
Voilà, je vous recommande ce bouquin! J'ai rarement lu quelqu'un qui décrivait d'une manière si précise, si intense, si intérieure, ses sensations de coureur à pied!
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8 commentaires
Commentaire de redpanda posté le 04-04-2009 à 13:31:16
c'est drôle ça commence comme un CR du Ch'tigrincheux!!
Commentaire de shunga posté le 04-04-2009 à 13:39:12
Un des meilleurs auteurs vivant ce type et en plus il trouve le moyen de courir... pfff
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 04-04-2009 à 18:06:16
C'est dans ce livre qu'on peut lire la célèbre maxime du Raideur Japonais : "Quand la rivière est rouge, prends le chemin boueux".
Commentaire de Nono_d posté le 04-04-2009 à 19:24:16
Pas de doute: il a fini son 1er marathon!
Commentaire de Sac d'os posté le 04-04-2009 à 19:32:39
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Il nous fait vivre sa souffrance, son martyr. Nulle info sur son chrono. C’est un coureur de fond qui n’avait jamais couru au-delà de 35 km. C’est surtout un excellent poète et un écorché vif.
Commentaire de GAD94 posté le 05-04-2009 à 15:41:16
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Même réflexion que bashiboozook et je rejoins également Sac d'os; ce qui prouve
que le Grincheux est un des plus grands chtis par le style. C'est une éponge
qui s'auto-essore par l'Ecriture. Vivre pleinement pour écrire intensément. COSTAUD!
Commentaire de marioune posté le 08-04-2009 à 09:41:01
oui oui oui oui. Merci Mustang de mettre un flash de lumière sur Murakami. Lire aussi les amants du spoutnik ou bien, oh, oui, Le passage de le nuit, moins de course à pied, mais une plongée dans un Tokyo bizarre, hypnotique, sombre, le temps d'une nuit, ambiance, des regards, des coups d'oeil...
Commentaire de jpoggio posté le 12-04-2009 à 16:35:16
Je seconde Marioune avec enthousiasme : Murakami est un écrivain que j'aime énormément, toute considération en rapport avec la course laissée de côté !
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