Par Mustang - 04-07-2009 00:37:37 - 5 commentaires
Au bout du couloir
L’ascenseur nous dépose au second étage. Dans le hall, un lit est échoué dans un coin. Je pousse un battant de la double porte qui donne accès au service. Des bureaux vitrés à notre gauche, nous avançons et prenons le passage sur notre droite. Nous débouchons sur un couloir. J’en connais l’odeur, l’ambiance. Une petite dame au visage émacié, la tête penchée sur l’épaule, s’interpose. Elle tient serré dans ses mains un livre usagé de la collection Poche et une paire de lunettes dont les branches sont entravées par un lien. Elle essaie vainement de dénouer ce lien. Elle interpelle Mireille en lui disant d’une voix douce et trainante « Je fais des progrès… ». Nous la regardons repartir dans ce long couloir. Mireille ne peut contenir son émotion. Je suis décontenancé. Cet endroit m’agresse. Mais nous n’avons pas le choix ! D’ailleurs avons-nous à quelque moment que ce soit, le choix ? Ne nous sommes pas à la merci d’un courant violent qui nous emporte, tel un fétu sur les flots de la vie? Nous avançons dans ce long couloir. Les portes sur les chambres sont ouvertes. J’aperçois des vieillards dans leur lit ou sur une chaise, habillés d’une camisole. C’est ça aussi la vie ??
Ce couloir n’est pas vide. Des femmes en tenue bleue, minces ou grosses, petites ou grandes le parcourent très affairées. Nous les saluons. Nous continuons vers le fond du couloir. Porte 231. Mireille frapper à la porte, attente, et nous rentrons. Elle est au fond de la pièce, le lit près de la fenêtre. Enfin, elle n’est pas dans le lit, mais dans un fauteuil. C’est bien qu’elle soit près de la fenêtre, moi, j’ai toujours choisi le lit près de la fenêtre ! Certes, la vue est nulle, mais cette idée de pouvoir regarder dehors, cette possibilité de porter son regard à l’extérieur, vers le ciel, cette possibilité d’un rêve, d’être dehors, de s’évader un instant, juste un instant, c’est si bon de regarder le ciel !
Son regard s’illumine dès qu’elle nous aperçoit. Son regard de celle qui ne sait pas, notre regard de ceux qui savent. Tout de suite, nous échangeons des banalités d’usage. Je n’ai jamais su exprimé mes émotions sur le coup, au contraire de Mireille. Nous discutons ensuite. Et je vois bien qu’elle cherche dans nos yeux bien plus que les paroles que nous lui apportons. Pourtant, il faut bien lui dire certaines vérités, trop définitives. Alors, ce sera un petit peu, à chaque visite. Pour que l’acceptation se fasse. Mais accepter quoi ? Tous ces compromis avec la vie ? Peut-être ? Oui, l’idée est belle, je veux dire quelle espérance ! Cela me rappelle un débat que j’ai eu avec un copain de lycée sur ce sujet, il y a si longtemps. Objectivement, oui continuer à lutter coûte que coûte, même pour une journée de vie supplémentaire, et il m’avait convaincu. Cependant, j’ai dit à mon toubib que, pour moi, il n’y aurait pas de compromis. Vite dit !
A chacune de nos visites qui vont suivre, je serai étonné et à la fois admiratif de voir ses concessions pour pouvoir retourner chez elle, dans sa maison. Elle est prête à tout. Maman. Ton courage me renforce. Ça va être si difficile, si difficile. Hier soir, j’ai passé ma main dans tes cheveux, sur ta joue.
Il y a un an, comment aurais-je pu penser cela ? C’était moi qui me débattais avec mon cancer. Et voilà qu’à l’automne suivant, c’est au tour de ma mère d’en subir les attaques insidieuses. Tout ça à cause de l’impéritie de son toubib ! Mais il est trop tard. Les métastases lui bouffent le dos ! Encore au printemps dernier, lorsque j’allais tondre la pelouse, elle venait s’assoir sur le muret du jardin pour me regarder. La dernière fois, elle était restée seulement à sa fenêtre. Comme Brel disait Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit.
Nous allons t’accompagner ; non, ce mot sonne faux. Je n’ai pas de mots. En vérité, je n’ai pas envie d’avoir de mots pour décrire ce qui va arriver. Pour ne pas affronter la réalité ? Non, seulement, pour que rien ne soit définitif. Je t’aime, maman.
J'adore cette photo. Tu es au centre, rayonnante au milieu de tes amies. C'est la fête en cette année 1953 à Exmes.
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5 commentaires
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 04-07-2009 à 09:05:31
Comme tu lui ressembles...
Une fois de plus, nous sommes à la croisée des chemins. Si je dis "nous" c'est que nous sommes jamais seuls, ne l'oublie jamais.
Commentaire de taz28 posté le 04-07-2009 à 09:28:35
Ton texte est à la hauteur de l'amour pour ta maman...
Elle seule comprend tes regards et tes mots, porte la avec toute ta tendresse Philippe.
Commentaire de RogerRunner13 posté le 04-07-2009 à 15:27:34
Cela me remet en mémoire la disparition de mon père l'année dernière après des mois de souffrance, je savais très bien que cette bataille il ne la gagnerait pas, il n'était plus tout jeune. Je me souviens il venait me voir en larme et me disait "je vais mourir" il n'acceptait pas ce salle coup de la vie. le plus terrible quand il me disait "pourquoi!! je n'ai jamais fait de mal à personne"...et moi qui ne savait pas quoi lui dire.....
Commentaire de francois 91410 posté le 05-07-2009 à 21:29:01
je suis certain que chacun d'entre nous se reconnaît dans ton texte, qu'il rappelle sa propre maman ou la maladie qui ronge un proche, un ami ...
Merci de nous avoir permis de le partager
François
Commentaire de Nono_d posté le 05-07-2009 à 22:51:38
Mustang, ton texte me touche beaucoup, il est écrit avec les mots du cœur. Je te souhaite énormément de courage pour cette épreuve certainement des plus difficiles qui existe. Toute mon amitié t'accompagne.
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