Par Mustang - 20-03-2011 23:32:13 - 4 commentaires
Avertissement: Contrairement à ce que peuvent dire certains, je ne suis pas le contemporain de Napoléon 1er ni de Jules Grévy, encore moins de Paul Deschanel!
J'ai vécu dans un petit village entre 1955 et 1965. Et comme dans beaucoup d'endroits, la commune ne donnait pas un sou pour l'école, ni pour les fournitures, ni pour son entretien. Aussi, les livres de lecture utilisés en classe étaient de vieux bouquins des années 30 qui passèrent dans les mains de bien des générations d'écoliers!
Que les choses soient dites!
A Lucien Dumas
Que Lucien Dumas fût un directeur d’école n’est pas là son moindre mérite, certes, mais ce ne fut pas non plus mon maître et je ne le connus point ! Mon parcours à la communale fut en définitive assez bref, quatre ans, bien que né dans une maison d’école! Pas d’école maternelle dans mon petit village normand, j’allai simplement en 11e pour apprendre à lire à l’école du bas. Je dus le faire avec facilité car je passai directement en 9e. J’y garde quelques souvenirs: une séance de vaccination, un bref séjour dans le cachot- en fait, un sas entre la salle de classe et les appartements de la maîtresse-, le jour où un garçon eut une phalange coupée dans la porte de la classe et quelques autres moments mémorables.
A l’automne dernier, j’y suis retourné avec mes enfants devenus adultes. Nous avons poussé la grille rouillée de la cour de l'école qui est en vente et gravis les deux marches du perron pour observer la salle de classe. Je n’y ai pas vu l’abandon, les peintures lépreuses, les gravats mais je crus y apercevoir quelques ombres enfantines, cinquante ans après! Puis je revins à l’école du haut, ma maison, en 8e et en 7e avec mon père comme maître. Ce fut certainement l’âge d’or bien que je l’ignorasse avant d’être déraciné, pauvre petit campagnard, vers la ville.
Or donc Lucien Dumas, qu’avait-il donc fait pour moi ? Et bien il avait convoqué quelques grands noms de la littérature, Hector Malot, Guy de Maupassant, Pierre Loti, Alphonse Daudet, Honoré de Balzac, Victor Hugo mais aussi quelques autres plus humbles mais non sans mérite comme Ernest Pérochon, Ernest Lavisse, Paul Arène, Frédéric Mistral, Charles Nodier, Edmondo De Amicis, André Theuriet et bien d’autres encore pour les réunir dans un livre, Le livre unique de Français -Hachette- manuel scolaire de petit format à la couverture cartonnée verte, qui regroupait la lecture, la grammaire, le vocabulaire, l’orthographe et la composition française et qui m’accompagna durant mes deux années de cours moyen.
C’est dans ce livre que je trouvai des lectures qui enflammèrent mon imagination et dont je gardai durablement le souvenir. Les illustrations qui les accompagnaient y contribuèrent pour beaucoup. Elles peuvent paraître désuètes maintenant mais la légèreté du trait, notamment pour les paysages, y confère un charme certain. L’auteur en était Ferdinand Raffin. Certes les textes véhiculaient de grandes valeurs morales comme le respect, la générosité, l’obéissance, l’honneur, l’espérance, c’est bien là leur moindre défaut !
Alors, ce livre, qu’est-il devenu ? Prêt de 47 ans après, j’ai pu à nouveau le feuilleter. Une amie, avec qui j’avais évoqué ce livre, a eu le bon goût de le rechercher dans une librairie spécialisée à Caen et de me l’offrir la semaine dernière.
Je ne résiste pas alors au plaisir de vous en confier quelques passages choisis.
Comme l’histoire de la Bichonne, le chien de Brisquet, contée par Charles Nodier :
« ...La Bichonne était arrivée là, au moment où Biscotin et Biscotine allaient être dévorés par un gros loup. Elle s’était jetée devant en aboyant, pour que ses abois avertissent Brisquet. Brisquet d’un coup de sa bonne hache, renversa le loup ride mort ; mais il était trop tard pour la Bichonne : elle ne vivait déjà plus… Et c’est depuis ce temps-là qu’on dit en commun proverbe : malheureux comme le chien à Brisquet, qui n’allit qu’une fois au bois, et que le loup mangit. »
Benjamin Valloton amenait la guerre 1914-1918, loin des tranchées, dans la quiétude d’un foyer :
«Le facteur ouvrit la porte de l’école, dont les enfants piaillant, venaient de se disperser. Louise, l’institutrice mettait son manteau.
- Mademoiselle, un télégramme… Quoi, vous comprenez… Si ce n’est pas malheureux… Ils m’en ont dit le texte au bureau…. Notre pauvre commune, elle paie, elle paie… Il en restera combien ? Angelin, votre frère… Le meilleur de tous….
Maladroitement affectueux, l’homme qui portait dans son sac les larmes et les rires des gens était parti…
… Dans le clocher, Isidore, tout en muscle et en peau sèche, une fois de plus tirait la corde… Et la cloche sonnait pour dire aux gens, aux sentiers, aux bois, aux ruisseaux : Angelin Carrière est mort ! »
Et que dire du petit fifre rouge de Paul Arène qui s’obstine à pécher des grenouilles le jour de Noël pour les offrir à sa grand-mère, faute de dinde ! Il ne trouve pas mieux qu’à déchirer petit bout par petit bout son habit rouge pour appâter les bestioles.
« Et, tirant son couteau, il coupa un petit morceau de ceinture que la grenouille, hélas ! emporta comme les autres, et puis encore un, et puis encore plus bas ; puis il entama le gras des chausses, tant qu’à la fin, la nuit arrivant, il s’aperçut que sa chemise flottait et que l’énorme échancrure, petit à petit faite au drap, laissait largement passer la bise… »
Ernest Pérochon, lui, nous apprend qu’il ne faut pas jouer avec le feu d’une manière terrifiante :
« Soudain, dans le silence du soir, un cri monta, atroce, fou, un cri prolongé d’horrible épouvante et de souffrance indicible…
Michel se sentit fléchir sur ses jarrets ; il leva la main, jeta d’une voix grelottante : « Malheur à moi, ma petite brûle ! »
Il se rua, perça la haie, se précipita dans le pré vers cette nappe de fumée où s’agitait une torche vivante. Dans l’ouche, Nène aussi courait. Le cri de l’enfant l’avait mise debout, l’avait jetée hors de la maison et il l’amenait, la poussait, la portait avec une vitesse incroyable… Son tablier à la main, elle se jeta sur l’enfant, roula avec elle sur l’herbe, éteignit la flamme par des gestes fous, avec ses jupons, avec ses mains, avec tout son corps. »
Je ne pense pas que les essoufflés de Granthan de Joseph Girardin m’aient procuré les premiers émois pour la course à pied mais ils me faisaient bien rire à poursuivre le chien qui leur avait dérobé la balle du jeu de cricket auquel ils jouaient :
« Ils se mettent à donner la chasse au chien. Peu habitués à courir longuement, et embarrassés de leur personne, les premiers tombent le nez en terre ; les suivants culbutent par-dessus les premiers. Tous les habitants, poussés par l’amour-propre, se mettent à la poursuite du chien, qui les tient en haleine, en ayant bien soi de ne pas trop augmenter la distance entre eux et lui. Deux habitants culbutent en franchissant un escalier ; trois autres se démettent la cheville en franchissant un ruisseau ; cinq restent dans la boue d’un fossé : le chien court toujours. De tous côtés, on voit des habitants qui s’adossent à des arbres en se tenant les côtes et en haletant comme des asthmatiques. »
Et l’obstination de Frédéric Mistral à vouloir cueillir à tout prix ces fleurs de glais alors qu’il était enfant :
« … Oh, mes belles fleurs jaunes ! Elles étaient toujours là, fières au milieu de l’eau, me faisant montre d’elles, au point qu’il ne me fut plus possible d’y tenir. Je descends bien doucement, bien doucement, sur le talus ; je place mes petons bien ras, bien ras de l’eau ; j’envoie la main, je m’allonge, je m’étire tant que je puis et … patatras ! Je me fiche jusqu’au derrière dans la vase ! » Et cet entêté y retournera trois fois avec le même résultat !
Et cette pauvre Coufi-Coufou, décrite par Henry Gauthiers-Villars, qui, par la magie de l’enchanteur Merlin devint riche mais ne l’ayant pas reconnu par la suite, perdit tout : « Elle se retrouvait dans son vieux tonneau troué, Coufi-Coufou comme devant. »
Quant à Maître Cornille d’Alphonse Daudet, à jamais dans ma mémoire, il « ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois : C’est du blé !... Seigneur Dieu !... Du bon blé !... Laissez-moi, que je le regarde. »
Pierre Loti, lui, nous emmenait dans les aventures marines pour nous ouvrir l’esprit mais la mer était toujours redoutable : « On était dans une petite chose fragile, égarée, loin de toute terre, au milieu du désert immense des eaux australes. Et, au dehors, on entendait toujours ces grands bruits de houle et cette grande voix lugubre du vent qui serrait le cœur. »
Anatole France lui aussi se souvient :
« Je vais vous dire ce que me rappellent, tous les ans, le ciel agité de l’automne et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent ; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d’octobre, alors qu’il est un peu triste et plus beau que jamais, car c’est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues.
Ce que je vois alors dans ce jardin, c’est un petit bonhomme qui, les mains dans ses poches et sa gibecière au dos, s’en va au collège en sautillant comme un oiseau. ma pensée seule le voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre de moi quand j’étais il y a vingt-cinq ans. »
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4 commentaires
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 21-03-2011 à 13:03:24
C'est dingue ! T'as dû naître vachement longtemps avant moi !!!
Commentaire de corto posté le 21-03-2011 à 16:12:22
Comme le Lutin, la photo semble ne pas encore exister à ton époque.
Commentaire de L'Dingo posté le 23-03-2011 à 10:15:56
Très belle composition élève Mustang. :-)
Quelques fantaisies dans la conjugaison des verbes aller et manger au passé simple :-)).
Continuez ainsi pour ne pas vous perdre comme ce jeune cancre excité à bonnet à grelot.
Vous finirez peut être enseignant, qui sais ?? ;-)
Commentaire de fulgurex posté le 23-03-2011 à 17:19:08
en tout cas, le gommage de peau, ça te rajeuni vachement!
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