Par Mustang - 10-02-2010 20:44:39 - 15 commentaires
La mort du chien
Il est assis sur la banquette arrière de la voiture, retenu par une laisse fixée à l’attache de la ceinture de sécurité. Sa respiration est difficile à cause de la tumeur cancéreuse qui obstrue sa gorge cependant il a gardé sa vivacité, son air un peu fou qui le rendait à la fois insupportable et attachant. Il regarde le paysage défiler par la vitre latérale. Je roule prudemment sur l’avenue enneigée qui conduit à la sortie de la ville. Au dernier rond-point, je tourne à gauche. Quelques centaines de mètres plus loin, je me gare sur le parking de la clinique vétérinaire. Il n’est pas encore 14 h, je suis en avance. J’attends donc dans la voiture. Le chien est calme, sa respiration est toujours aussi difficile. Tout à l’heure, il y a eu les adieux. Ils furent brefs. Ma mère n’a pas pleuré ou si peu, pas comme l’autre jour au téléphone lorsqu’elle m’a annoncé l’état du chien. J’attends. Je ne pense pas ou, tout au moins, j’évite de me projeter d’une seule seconde dans le futur. Je subis simplement les événements, aussi insupportable qu’ils soient. J’accomplis simplement ce qu’on m’a demandé de faire. C’est tout aussi insupportable. Ne pas penser, ne pas anticiper d’une seule seconde. C’est comme être étranger à soi-même. Voilà, il est 14 heures. Le personnel de la clinique arrive. Je sors de la voiture et ouvre la portière arrière. Le chien me regarde. Inquiet. Je libère la laisse et je saisis l’animal dans les bras. Il s’agite un peu. Ses yeux sont injectés de sang. Je resserre mon étreinte sur lui afin de mieux prendre le carnet de santé du chien posé sur la banquette. Je me dirige vers la clinique. J’ouvre la porte et pénètre dans le hall d’accueil. Je m’avance vers le comptoir. Derrière et sur le côté, des étagères garnies de produits vétérinaires et d’aliments pour animaux masquent les murs. Je suis attendu. L’assistant me conduit dans le cabinet du vétérinaire. Pas d’odeur particulière. Je dépose le chien sur la table d’examen. Lui d’habitude si exubérant est étrangement calme. Il reste campé sur ses quatre pattes. Debout. Le vétérinaire me parle de l’état du chien. Il me fait part de son étonnement face à l’évolution rapide de la tumeur. Tout en l’écoutant, je caresse le dos du chien. Comme pour me donner bonne conscience. Comme pour m’excuser auprès du chien. Dans un geste hypocrite. Le vétérinaire prépare son matériel. Rapidement, il pose une voie sur la patte antérieure droite du chien qui ne bronche pas. C’est tout juste si la bête n’a pas tendu sa patte comme pour… L’assistant occulte la fenêtre qui donne sur le parking en déroulant un store à lamelles. Le praticien saisit un flacon de verre rempli qu’un liquide rouge et en prélève une quantité avec une seringue. Prestement, il positionne l’aiguille sur la voie. Il pousse le piston de la seringue. Personne ne parle. Dans l’instant, l’animal s’écroule sans un cri, sans un soubresaut J’accompagne sa chute sur la table d’examen. Je continue à caresser son poitrail. Est-il endormi ou mort ? Etait-ce une piqûre pour endormir avant d’effectuer l’injection fatale ? Je n’ose demander. Le vétérinaire me parle de l’évolution de la tumeur du chien. D’un geste précis, il ouvre la gueule du chien et me fait voir l’intérieur de sa gorge. La vision d’une horreur noirâtre. L’animal est étendu sur le côté. Je passe toujours ma main sur son corps chaud. Je me décide enfin à retirer son collier. Difficilement. Mon regard est attiré par un frémissement de sa babine. Ce frémissement se reproduit à plusieurs moments. Un simple résidu d’une parcelle de vie. Un réflexe comme la grenouille étêtée en cours de biologie au lycée. C’est fini. Si simplement. Je quitte la salle. Je signe des papiers pour l’incinération. Je règle les frais. Je regagne ma voiture.
Dans un peu plus de deux heures, près de deux cent mille Haïtiens vont mourir dans un tremblement de terre.
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15 commentaires
Commentaire de titi61 posté le 10-02-2010 à 23:02:05
recit tres emouvant.ma chienne a 17 ans et je dois dire que j'appréhende le jour ou je devrais vivre une telle journée.
Commentaire de LtBlueb posté le 10-02-2010 à 23:26:06
récit très émouvant philippe, sale journée...
Commentaire de philtraverses posté le 11-02-2010 à 07:41:16
Beau récit. Le rapprochement entre la mort de ton chien et celle de 200 000 Haitiens .. Je suppose que tu veux dire que ce qui nous touche de près a plus de sens est plus réel et nous touche plus que ce qui se passe à 8000 kms de chez nous qui parait pour notre esprit humain bien abstrait voire virtuel ..
Bon courage
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 11-02-2010 à 08:22:02
Dans le recentrage final, je vois avant tout l'honnête Mustang et son sens des proportions.
Commentaire de RogerRunner13 posté le 11-02-2010 à 09:21:08
C'est bouleversant et ce que laisse comme peine ce qui nous touche de près, alors il faut imaginer la douleur des proches et des familles de ces 200 000 Haitiens.....
Commentaire de L'Dingo posté le 11-02-2010 à 10:36:40
L'Humanité , c'est de parler de la disparition de son chien comme s'il était un être humain.
Mais ne pas pleurer à l'annonce de la mort de centaines de milliers d'hommes, femmes et enfants inconnus, et pourtant qui nous ressemblent, ce n'est pas un manque d'Humanité pour autant.
Ce n'est pas le nombre des victimes uniquement qui fait le drame, c'est aussi la nature propre à la tragédie, ou la façon dont la mort est survenue.
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Mustang, tu as du être immensément triste, et ton texte c'est une dernière preuve d'amour au chien.
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 11-02-2010 à 13:11:24
Bon, c'est pas la mort du petit cheval non plus...
Commentaire de nic2wall posté le 11-02-2010 à 20:55:46
J'ai vécu ça avec ma petite Ubaye, berger des Pyrénées récupérée à la SPA.Je sais l'Ubaye c'est pas dans les Pyrénées mais elle s'appellait comme ça : Je me rendais chaque semaine au refuge pour voir si ma Briarde Planète n'avait pas été retrouvée. Ubaye y était arrivée à 4 mois. Elle y est restée 7 semaines avant que je décide de la ramener à la maison. Pendant 3 ans, je lui ai fait faire du troupeau. Sa "première fois" a été incroyable, le berger en était soufflé. Chaque été elle se faisait draguer pour monter faire des saisons dans les estives ! Elle est restée 3 ans à nos côtés avant que son pancréas ne décide de se digérer tout seul...
Commentaire de béné38 posté le 11-02-2010 à 22:22:08
Il y a des journées comme ça. C'est un bel hommage que tu rends à ce chien (je n'ai pas saisi si c'était le tien ou celui de ta mère). Et cela me rappelle le jour où encore étudiante je rentrai un week-end chez mes parents en cherchant la chienne partout. Notre berger allemand était partie dans la souffrance et la douleur, la décision s'imposait d'elle-meme. Depuis je garde un souvenir très émouvant de cette chienne avec laquelle j'ai grandi, et aujourd'hui ma chienne Azote,même si parfois elle est chiante, me rend à nouveau cette tendresse et cette fidélité propre à ces animaux.
L'avoir accompagné jusqu'au bout, c'était un beau geste d'amour et de fidélité.
Commentaire de Epytafe posté le 12-02-2010 à 00:28:45
Merci Mustang !
Commentaire de BENIBENI posté le 14-02-2010 à 21:11:12
Il n'y a pas d'echelle pour le chagrin.
Commentaire de agnès78 posté le 18-02-2010 à 08:34:22
bon vent à la petite bête et bon courage à toi... bises agnès
Commentaire de plumette posté le 22-02-2010 à 21:36:10
Pendant que je lis ton billet mon chien est sagement couché à mes pieds, comme tous les soirs, et je me rends compte de la chance que j'ai de l'avoir là, à côté, avec ses yeux tout pleins d'amour. Bonne route le chien.
Commentaire de guirlande posté le 25-02-2010 à 12:12:27
Merci Mustang tout simplement
Commentaire de Cyrille posté le 05-03-2010 à 10:13:02
Fiou..."Fake Plastic Trees" en fond sonore, je lis ton récit, attiré par le titre...putain j'ai le cerveau qui s'est morosé (un nouveau verbe)...j'ai un chien, j'ai décidé qu'il ne mourrait jamais, jamais, non jamais et puis moi aussi, par la même occasion, je ne mourrai pas...c'est quoi ces conneries de mourir.
Merci Mustang.
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